Commémoration du 10 mai 2022 à Amiens

Le mardi 10 mai 2022 à 10h30, le Club International Négritude a organisé au Square Aimé Césaire d'Amiens la cérémonie commémorative du 10 mai à l'occasion de la Journée Nationale des Mémoires de la Traite Négrière, de l'Esclavage et de leurs Abolitions.

10 mai 2022 - Journée Nationale de Commémoration des Traites Négri&eagrave;res, de l’Esclavage et de leurs Abolitions - Amiens - C.I.N.





Textes lus :

Je navigue (Texte écrit par Jean Claude MANEBARD, Poète martiniquais)

Texte lu par Jean Claude MANEBARD, Vice-président du Club International Négritude

« Je roule sur les traces des racines de mes ancêtres
Même si les houles en rages sont des obstacles difficiles à franchir
Sur l’océan, dans mon gommier, je rame, je rame et je rame.
Sous les brises et le vent qui soufflent, vers ma destination.
Île de Gorée, où les larmes des yeux et le sang des veines de mes semblables ont coulé.
Au Sénégal ! C’est l’Afrique !
J’ai vu les dents de la mer affamées, j’ai vu !
J’ai vu la couleur du sang du noir jaillir.
Du rouge dans le bleu de la mer en mouvement,
Dans la grande lumière du soleil qui chauffait.

Je navigue sur l’océan atlantique, longuement houleux
J’imagine la souffrance, la misère de mes ancêtres
Esclaves, enchaînés sur les négriers, vers l’Amérique, l’Europe
Dans le port de Nantes, de Bordeaux, du Havre, de La Rochelle, des Antilles et ailleurs.
Pour combien de pièces d’or et d’argent ?
Qu’ils ont été vendus, à la criée, au marché des Nègres !

J’imagine ! Combien de coups de fouets donnés pour ramer ?
Les dents serrées, les grimaces de souffrances, les visages métamorphosés
De douleur, c’est la peur, chaque jour, chaque nuit
Des bourreaux sataniques respectant les ordres.

J’imagine ! Mes racines, que de fois, qu’ils se trompaient
D’heure au soleil levant, couchant. Des nuits de cauchemars
Dans la mer de brume. Certains gémissaient, vomissaient, transpiraient,
Hurlaient ! Mon Dieu ! Que j’ai mal ! Où es-tu ?

Me voilà bientôt vieux, j’ai par-dessus mon âge des souvenirs, sanglants.
Imagine !
Des souffrances jadis, entassés dans ma mémoire et dans mes cheveux blancs.
Avant de mourir, je planterai, l’arbre du poète : Mes recueils de poèmes !
Au cœur de la terre, les écritures de mes plumes, noires de mémoire.
L’arbre donnera des fruits bourrés de vers, à ceux qui naîtront demain.
Je n’aurais pas vécu inutile, pour transmettre les rêves de mon esprit,
Les supplices de mes racines, à ceux qui récolteront les fruits de l’arbre
Et ses feuilles mortes. Sous un mémorial Baobab éternel : les recueils de poèmes du Lion Noir.

Hommes noirs ! Nous resterons toujours les héritiers du passé
Les tortures de ceux qui sont morts pour notre liberté
Et l’abolition de l’esclavage. Soyons fiers de notre Négritude. »



Extrait de Voyage à l'Île de France (Par Jacques-Henri BERNARDIN DE SAINT PIERRE, 1737–1814, Publié en 1773)

Texte lu par Michel KITOKO,
Président d’Honneur du Club International Négritude
Directeur de la Fondation Patrice Lumumba

« Voici comment on les traite.
Au point du jour, trois coups de fouet sont le signal qui les appelle à l’ouvrage.
Chacun se rend avec sa pioche dans les plantations, où ils travaillent, presque nus, à l’ardeur du soleil.
On leur donne pour nourriture du maïs broyé, cuit à l’eau, ou des pains de manioc.
Pour habit, un morceau de toile.
À la moindre négligence, on les attache, par les pieds et par les mains, sur une échelle ; le commandeur, armé d’un fouet de poste, leur donne sur le derrière nu cinquante, cent, et jusqu’à deux cents coups.
Chaque coup enlève une portion de la peau.
Ensuite on détache le misérable tout sanglant ; on lui met au cou un collier de fer à trois pointes, et on le ramène au travail (…)

Il ya une loi faite en leur faveur appelée le Code Noir.
Cette loi favorable ordonne qu’à chaque punition ils ne recevront pas plus de trente coups ; qu’ils ne travailleront pas le dimanche ; qu’ils recevront de la viande toutes les semaines ; des chemises tous les ans ; mais on ne suit point la loi (…)

De temps en temps, on les baptise.
On leur dit qu’ils sont devenus frères des blancs et qu’ils iront au paradis.
Mais ils ne sauraient croire que les Européens ne puissent jamais les mener au ciel ; ils disent qu’ils sont sur la terre la cause de tous leurs maux (…)

Ma plume se lasse d’écrire ces horreurs, mes yeux sont fatigués de les voir et mes oreilles de les entendre.

Je ne sais pas si le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l’Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux ont fait le malheur des deux parties du monde.

Ecrit depuis le Port-Louis de l’Île de France, le 25 avril 1769 »



Pourquoi en vouloir à tous ceux dont je suis (Par Léon Gontran Damas, 1912-1978, Dans Black-label, recueil de poèmes publié chez Gallimard, Paris, 1956)

Texte lu par Landry MANDOUKOU,
Président du Club International Négritude

« Qui retrouvent enfin
le fil du drame interrompu
au bruit lourd des chaînes
du brigantin frêle
mouillant dans l’aube grise de l’Anse aux KLAUSS

MASKILILIS malins qui dansent m’expliquerez-vous pourquoi toujours sur cet immense fond rouge
de sang d’hommes jusqu’au dernier armés de sagaies et de flèches à l’usage inutiles

Être de ceux qui jamais n’ont cessé d’être
un souvenir qui soudain retrouve enfin
le fil du drame interrompu
au bruit lourd des chaînes
du brigantin frêle
mouillant dans l’aube grise de l’Anse aux KLAUSS
c’est bel et bien restitué
le parfum fort du rythme des heures claires
battu le rythme
coupé le rythme
et
refoulé le rythme

Être de ceux qui jamais n’ont cessé d’être
un souvenir qui soudain retrouve enfin
le fil du drame interrompu
au bruit lourd des chaînes
du brigantin frêle
mouillant dans l’aube grise de l’Anse aux KLAUSS

MASKILILIS malins qui dansent m’expliquerez-vous pourquoi toujours sur cet immense fond rouge
de sang d’hommes jusqu’au dernier armés de sagaies et de flèches à l’usage inutiles »



Aimé Césaire - Extrait du discours prononcé le 21 juillet 1945 à l’occasion de la fête traditionnelle dite de Victor Schœlcher, publié dans Victor Schœlcher et l’abolition de l’esclavage, (2004)

Texte lu par Fabrice NEVEU,
Sous-préfet de la Somme, chargé de la relance économique

« […] Le 27 avril 1848, un peuple qui depuis des siècles piétinait sous les degrés de l’ombre, un peuple que depuis des siècles le fouet maintenait dans les fosses de l’histoire, un peuple torturé depuis des siècles, un peuple humilié depuis des siècles, un peuple à qui on avait volé son pays, ses dieux, sa culture, un à qui ses bourreaux tentaient de ravir jusqu’au nom d’homme, ce peuple-là, le 27 avril 1848, par la grâce de Victor Schœlcher et par la volonté du peuple français, rompait ses chaînes et au prometteur soleil d’un printemps inouï, faisait irruption sur la grande scène du monde.

Et voici la merveille, ce que l’on offrait à ces hommes montés de l’abîme ce n’était pas une liberté diminuée, ce n’était pas un droit parcellaire ; on ne leur offrait pas de stage ; on ne les mettait pas en observation, on leur disait : « Mes amis, il y a depuis trop longtemps une place vide aux assises de l’humanité. C’est la vôtre. »

Et du premier coup, on nous offrait toute la liberté, tous les droits, tous les devoirs, toute la lumière. Eh bien la voilà, l’œuvre de Victor Schœlcher. L’œuvre de Schœlcher ce sont des milliers d’hommes noirs se précipitant aux les écoles, se précipitant aux urnes, se précipitant aux champs de bataille, ce sont des milliers d’hommes noirs se précipitant partout où la bataille est de l’homme ou de la pensée et montrant, afin que nul n’en ignore, ni l’intelligence ni le courage ni l’honneur ne sont le monopole d’une race élue. […] »